PARIS - Pendant trois mois, le tribunal correctionnel de Paris va tenter de démêler le dossier tentaculaire dit du financement libyen. Selon l'enquête, de nombreux éléments factuels démontrent qu'un "marché de corruption" de 6 millions d'euros a été conclu entre l'ancien dictateur et l'ancien président français dans le cadre de la campagne de 2007.
Le marché faustien avec le dictateur arabe Mouammar Kadhafi a-t-il permis de financer la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 ? C'est la question à laquelle le tribunal correctionnel de Paris devra répondre lors d'un procès historique, 20 ans après le début de l'affaire. Coup d'envoi ce lundi 6 janvier.
Trois mois d'audiences, jusqu'au 10 avril, treize personnes vont s'asseoir sur le banc des accusés. Nicolas Sarkozy est attendu en fin d'après-midi. Moins d'un mois après que la Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d'appel de Paris. sa condamnation à trois ans de prison, dont un corrigé (convertible par bracelet électronique) dans l'affaire des écoutes téléphoniques - Ce qui ne l'a pas empêché de passer Noël aux Seychelles, l'ancien président de la République est cette fois-ci jugé pour "recel de détournement de fonds publics", "corruption passive", "financement illégal de campagne électorale" et même "association de malfaiteurs". Nicolas Sarkozy risque une peine pouvant aller jusqu'à dix ans de prison et une amende de 375 000 euros.
À ses côtés, on trouve ses fidèles lieutenants, d'anciens ministres Claude Guéant a Brice Hortefeux soupçonné d'avoir orchestré le transfert de 6 millions d'euros de fonds publics libyens par l'intermédiaire de l'homme d'affaires Ziad Takieddine, a même continué. D'autres sont soupçonnés d'être impliqués dans le blanchiment ou la dissimulation de centaines de milliers d'euros, organisés par un autre acteur central de l'affaire Alexandre Djouhri .
Une affaire de grande ampleur dans laquelle la justice va tenter d'identifier un faisceau d'indices démontrant ou non la réalité du transfert de fonds libyens à l'entourage de Nicolas Sarkozy pour financer sa campagne présidentielle.
Conversations secrètes
Tout a commencé en 2005. En Libye, Mouammar Kadhafi, le "sorcier" qui a renoncé au terrorisme d'État, veut sortir son pays de l'embargo. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, pense à l'élection présidentielle. Les deux dirigeants se rencontreront à Tripoli en octobre.
Il y a quelques semaines, son chef de cabinet, Claude Guéant, se rend en Libye pour une visite préparatoire. Il y rencontre Abdallah Senoussi, le beau-frère de Mouammar Kadhafi. Un personnage peu reluisant, condamné à la prison à vie par la France pour avoir orchestré l'attentat de 1989 contre un avion de transport DC-10 d'UTA, qui a fait 170 morts. En décembre 2005, Brice Hortefeux, fidèle de Nicolas Sarkozy et agent du ministre auprès des collectivités locales, a également rencontré Senoussi. A chaque fois, ces entretiens se sont déroulés dans le dos du corps diplomatique, "en toute confidentialité et en dehors de la présence des autorités officielles françaises".
Pour le juge d'instruction, ce secret "très difficile à comprendre, à moins de considérer que cette activité était cachée par le secret et qu'il s'agissait en fait de lever des fonds secrets pour une campagne future". . C'est ce qu'assure un traducteur qui a accompagné Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi, mais aussi Abdallah Senoussi et plusieurs membres du second cercle du régime. Selon eux, l'accord est scellé. Mais la justice doit-elle les croire ?
Contrat de confiance
Le tribunal devra s'appuyer sur un ensemble de preuves beaucoup plus large. Notamment sur le contenu de l'accord présumé. Mouammar Kadhafi aurait assuré à Nicolas Sarkozy qu'il l'aiderait à financer sa campagne présidentielle. Ziad Takkiedine, qui a joué les entremetteurs, a fini par admettre en 2016 qu'il avait remis 5 millions d'euros en liquide à Claude Guéant et Nicolas Sarkozy.
Des aveux sur lesquels il s'est finalement rétracté en 2019, lors d'un étrange entretien que les enquêteurs disent avoir été organisé contre rémunération par des proches de l'ancien président français. Ziad Takkiedine, condamné dans une autre affaire (Karachi) à cinq ans de prison en 2020, s'est réfugié au Liban. Il est introuvable aujourd'hui et ne sera pas présent au procès.
Un autre élément sera au cœur du procès des trois prochains mois. Une note officielle datée du 6 décembre 2006, signée par Moussa Koussa, alors chef des services de renseignement libyens, demandant à Bachir Saleh, président du principal fonds d'investissement du régime, de débloquer 50 millions d'euros au profit du clan Sarkozy.
Qu'obtiendrait la Libye de Mouammar Kadhafi en échange ? Tout d'abord, la fin du mandat d'arrêt international contre le terroriste Abdallah Senoussi - ce qui expliquerait pourquoi l'avocat et ami de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, s'est employé à le défendre. D'autre part, cet accord déboucherait sur un contrat de production de pétrole pour Total et sur des accords commerciaux tels que la vente de matériel d'espionnage de la France à la Libye.
Enfin, l'objectif était également de rendre Tripoli "a établi des liens avec un pays européen et s'est fait respecter". Selon les enquêteurs. Le président élu Nicolas Sarkozy réserve sa première visite à l'étranger à Mouammar Kadhafi. Puis, quelques mois plus tard, en décembre 2007, la France offre au dictateur une réception fastueuse et inédite sur le plan protocolaire, qui dure six jours, au cours desquels le Libyen est autorisé à planter sa tente bédouine dans les jardins de l'Elysée.
La couleur de l'argent
Pour le juge d'instruction, de nombreux éléments factuels démontrent que le fonds souverain libyen a versé près de 6 millions d'euros en trois fois sur le compte de Ziad Takieddine - Rossfield - en décembre 2005 Deux millions auraient été versés directement par Abdallah Senoussi. .
Cette somme aurait ensuite transité par différents canaux. Et 440 000 euros ont été retrouvés sur un compte offshore basé aux Bahamas d'un proche et ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert. Cette somme sera perçue en espèces, "pour des raisons clairement liées à la campagne de Nicolas Sarkozy", selon l'ordre de mission. Une note dans le journal de Thierry Gaubert mentionne "Ns Campagne", juste avant la réception des fonds, en février 2006. Ziad Takieddine lui-même aurait versé de l'argent avant les élections présidentielles au moins 1,2 million d'"euros". à partir d'un compte en Suisse, selon les juges.
A ces éléments, ces derniers ajoutent "circulation anormale d'argent liquide non comptabilisé pendant la campagne électorale" en 2007. Ils ont pu établir qu'à la fin de la campagne, au moins 250 000 euros en grosses coupures restaient au siège de l'UMP. Ces sommes ont été versées sous forme de primes. Le parti de droite, aujourd'hui LR, assure que cet argent provient de dons anonymes envoyés par des militants. "Peu probable pour les enquêteurs, qui estiment que les 250 000 euros ne sont que la partie visible de l'iceberg.
Exfiltration d'urgence
Pour prouver la réalité des flux, le tribunal correctionnel devra également examiner ce que les enquêteurs appellent "tentatives de dissimuler des preuves". D'une part, en révélant "chaînes de blanchisserie" conçu pour dissimuler des transferts en provenance de Libye, non seulement pour la campagne de 2007, mais aussi pour un enrichissement personnel.
Les juges d'instruction soupçonnent notamment Claude Guéant d'avoir acheté en 2008 un appartement parisien pour 500 000 euros afin de blanchir l'argent. Quelques jours avant cet achat, le même montant a été transféré depuis l'étranger sur le compte de l'ancien ministre. En 2013, il a affirmé que l'argent provenait de la vente de tableaux flamands, ce dont il n'a jamais apporté la preuve.
L'enquête judiciaire a finalement révélé que les 500 000 euros étaient le fruit d'un montage financier mis en place par Bachir Saleh, le patron du fonds souverain libyen, avec l'aide d'un intermédiaire, Alexandre Djourhi. Interlocuteur privilégié de Nicolas Sarkozy en Libye, il semble que Béchir Saleh ait échappé aux attaques de l'armée française contre le régime libyen en 2011. Cette année-là, alors que le Printemps arabe s'épanouit, Nicolas Sarkozy se retourne contre son ancien allié et soutient militairement un soulèvement visant à renverser le régime.
Béchir Saleh, exfiltré en France, a quitté la France en mai 2012, quelques jours après la révélation de la note dans laquelle Moussa Koussa lui demandait de débloquer 50 millions d'euros. Des notes de renseignement et des écoutes téléphoniques déclassifiées ont montré que cette fuite a été orchestrée dans l'urgence par Alexandre Djouhri avec l'aide active de Bernard Squarcini, directeur du renseignement intérieur et partenaire intime de Nicolas Sarkozy et Claude Guéant. Pour les enquêteurs, cette exfiltration était organisée, " de sorte qu'il ne puisse pas faire la lumière sur la révélation des faits énoncés". Une nouvelle pièce du puzzle vertigineux qui pourrait révéler un énorme scandale d'État.
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